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ร€ un รขge encore un peu trop tendre pour tout cela, elle scrutait sa garde-robe, dรฉsespรฉrรฉe ร  lโ€™idรฉe de ne rien trouver dโ€™assez noir pour un enterrement. Quโ€™importait quโ€™elle nโ€™ait jamais vu le disparu, ce nโ€™รฉtait pas lui quโ€™elle pleurait, cโ€™รฉtait son fils quโ€™il fallait รฉpauler, aussi maladroitement que possible. Un fils qui รฉtait son ami, ร  elle qui hรฉsitait entre deux pantalons sans savoir, vraiment, quel protocole est indiquรฉ, quelle mine il est de bon ton dโ€™arborer.

ร‰videmment, une fois devant la foule sombre il nโ€™y avait plus ni doute ni choix, il รฉmanait du groupe une telle tristesse quโ€™elle se sentait comme opprimรฉe. Elle cherchait des yeux des visages quโ€™elle aurait connus, dans une autre vie, qui auraient changรฉs pendant les quelques annรฉes qui les avait รฉloignรฉs, ce fils, cet ami, et elle. Ils รฉvitaient soigneusement tous les regards, mais surtout ils รฉtaient remarquablement peu nombreux, ceux qui avaient fait le dรฉplacement. ร€ lโ€™รฉpoque, il รฉtait le centre de toutes les attentions, avec ses cheveux longs et sa voix dรฉjร  grave, ce charisme magnรฉtique. Elle repensa ร  sa mรจre qui avait ironisรฉ, ยซ ma fille, cโ€™est quand il pleut que tu constates quโ€™il nโ€™y a personne pour tโ€™aider ร  tenir ton parapluie ยป. Son cล“ur se serra encore plus fort, ce nโ€™รฉtait plus dรฉsormais quโ€™un nล“ud grouillant dโ€™une terreur sourde. Que devient-on quand on perd son pรจre ? Le visage du sien, bien vivant, sโ€™imprima dans sa rรฉtine, elle retint un soupir de soulagement, indรฉcent et dรฉplacรฉ.
Lโ€™office lui parut interminable, elle รฉtait loin de son ami, elle nโ€™รฉtait pas du tout ร  sa place, elle nโ€™avait dโ€™ailleurs pas de place ici. Elle envisagea de partir, mais il รฉtait impossible de le faire sans gรชner, sans se faire remarquer. Et quand le cercueil sโ€™abaissa elle surprit des larmes qui perlaient ร  ses paupiรจres. Incomprรฉhensibles et รฉphรฉmรจres, elles roulรจrent tandis quโ€™elle observait, la gorge nouรฉe elle aussi, son ami retenir et contenir en lui un dรฉsespoir dรฉchirant, qui retentissait ร  ses tympans bien plus fort que nโ€™importe quel cri.

Enfin, tout se termina, abruptement, comme se termine une vie peut-รชtre. Elle sโ€™avanรงa vers la famille endeuillรฉe sans savoir ce quโ€™elle dirait. Sincรจres condolรฉances รฉtait trop pompeux et ampoulรฉ. Je suis dรฉsolรฉe ne couvrait pas un dixiรจme de la peine qui la criblait devant les silhouettes vides qui lui faisaient maintenant face. Bon courage รฉtait bien trop cynique. Elle nโ€™avait aucun mot aux lรจvres quand enfin elle se retrouva devant celui qui avait รฉtรฉ un ami, du genre un peu lointain avec qui on rigole bien, mais toujours une partie de son paysage. Elle nโ€™eut rien ร  dire. En la voyant, il entoura de ses grands bras et la serra contre elle dans une รฉtreinte dont elle รฉtait le soutien, lโ€™armature โ€“ sous ses mains elle sentait les รฉpaules de son ami secouรฉs de sanglots incontrรดlables. Il pleura longtemps sans rien dire, et quand enfin il la lรขcha, il laissa รฉchapper un ยซ merci ยป, ses yeux un peu moins vides rivรฉs aux siens.

Des annรฉes plus tard, ce souvenir la rรฉveillerait souvent. Au beau milieu de la nuit, elle se demanderait ce quโ€™avait voulu dire ce merci, alors que le corps endormi de cet ami dโ€™alors, cet amant de maintenant, reflรฉtait dans le miroir les lueurs dโ€™รฉbats amoureux ร  peine terminรฉs.


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