103.

À qui tu penses, quand c’est moi que tu étreins et mon regard que tu fuis ? Quelle est cette autre qui te hante, alors qu’en moi tu vas et viens, sans être tout à fait ici ? Cela fait si longtemps qu’on s’épouse et se confond, je te connais par cœur et je ressens dans chaque frémissement à la surface de ta peau l’intensité de ta présence, qui aurait cru qu’après toutes ces années persuadée de t’avoir tout entier, je saurais reconnaître à la première hésitation la place que tu as laissée en toi pour une autre que moi. Je n’ai pas encore réussi à me reposer sur les lauriers de l’âge, du temps passé, chaque regard dans le miroir me renvoie l’inquiétude qu’un jour, peut-être, tous les imperfections qui constellent mon être et que tu chéris, attendri, t’apparaîtront comme autant de défauts qu’aucune gomme ne saurait effacer. Je n’ai pas de ceinture de sécurité dans cette vie à tes côtés, je m’en félicite presque tandis que je surprends tes yeux s’égarer dans le vide au-dessus de mon épaule. Les miens étaient fermés, tout au plaisir que j’imaginais partager, en les ouvrant à l’orée d’un gémissement, j’ai vu que tu n’étais plus là, plus avec moi. Je pouvais presque discerner les contours de celle que tu imaginais être à ma place, sur toi, en toi, autour de toi, j’aurais pu tendre les mains et te l’arracher. J’aurais dû, outrée, te gifler te secouer tout arrêter, je n’ai pas su. Dans ce regard inerte que tu avais, dans ton absence tempérée j’ai décelé une souffrance immobile, des tonnes de regret, des adieux du tonnerre des éclairs. La colère. J’avais la gorge serrée de te voir entre deux mondes et soudain tu es revenu. Tu m’as empoignée tu m’as serrée tu m’as aimée, tu étais revenu d’entre les morts, tes pupilles vrillées aux miennes, de la lumière partout sous nos paupières. Une vague intense d’une tristesse indicible a secoué nos deux corps arrimés l’un à l’autre comme deux noyés dans la tempête. Il y avait une poésie dérangeante à jouir ainsi tous les deux enlacés dans les non-dits et les secrets.


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