Surfer la vague

Il y a eu un matin un orage qui a grondé comme une grosse colère. Cela faisait plusieurs heures déjà que je fixais le plafond d’un air morne, éveillée aux pâles heures de l’aube grise, et après être descendue profiter de la fraîcheur après l’averse je m’étais sentie gonfler d’une autre pluie, alors j’étais remontée me réfugier contre le dos chaud et solide de l’homme qui m’accompagne. C’est alors que le tonnerre a retenti, saupoudrant le vacarme de la pluie torrentielle de ses accès de rage, et alors ça a été comme si chaque coup fissurait une poche en moi. Les larmes sont montées à intervalle régulier entre les grondements, et se sont déversées en ruisselets tièdes à chaque tambour battant. J’étais ballotée par la houle d’une mer impitoyable parce qu’intérieure, depuis des mois que je me sens bateau ivre, prête à chavirer à chaque instant, je me suis encore approchée un peu plus près du bord. Cette fois j’étais tout en haut d’une immense vague et je regardais l’écume se former sous mes pieds et puis à six mètres en-deçà et je savais que si je tombais, je serais avalée par la mer, écrasée par son poids métallique et maintenue sous la surface jusqu’à ne plus pouvoir émerger. Je savais que la noyade est une des morts les plus douloureuses. J’ai tangué tout le temps qu’a duré l’orage, c’est vrai. Tout était trop, trop dur, trop vite et trop fort, au milieu de l’océan me suis-je dit, les rafales de vent sont d’autant plus violentes. Mes cheveux ne fouettent pas mes joues, ils les lacèrent. Le sel vient piquer l’endroit où, à la commissure des lèvres, j’ai trop mordu la peau. À chaque coup de tonnerre sa vague de sanglots et puis l’orage s’est tu, la pluie aussi. D’un coup, aussi subitement qu’on ferme le robinet d’une douche. Quelques secondes plus tard, comme s’il restait un peu d’eau dans le pommeau, il est retombé quelques grosses gouttes et puis l’air a repris sa transparence et j’ai vu au loin la terre ferme. Je suis encore en train de rejoindre le rivage à la nage, à bout de souffle.


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Commentaires

2 réponses à “Surfer la vague”

  1. Léonor

    Merci pour ce beau texte.
    Bateau ivre, c’est tellement ça. Avec son phare, dans la nuit.

  2. Hélène

    Bonsoir Pauline 🙂

    Je viens de voir ta story où tu évoques ton ressenti vis-à-vis des blogs et de la vie qui s’y invite dans les commentaires, et qui manque cruellement ces derniers temps. Je fais partie de cette masse silencieuse qui te suit depuis des années (me concernant depuis l’article « Mon corps m’appartient » à l’époque de la Jeune Idiote…), j’ai pour habitude depuis longtemps maintenant de ne plus m’exprimer en ligne, estimant comme nombreux.ses autres que ma parole n’a pas d’impact… À tort.

    En fait le déclin des blogs au profit d’Instagram (et, j’ai la sensation, maintenant, d’Instagram au profit de TikTok) me ramène à ce que j’avais ressenti, alors adolescente, quand j’ai vu tout le monde délaisser les blogs pour Facebook, m’incitant, après une résistance farouche, à rejoindre moi aussi ce réseau social qui n’avait alors encore rien à voir avec ce qu’il est devenu aujourd’hui…
    J’ai longtemps consulté quotidiennement les blogs (bd, « mode », lifestyle, zéro déchet…) et chaînes YouTube affiliées avant de constater, il y a quelques années, que le même mouvement de déplacement s’opérait entre blogs et Instagram…

    Est-ce que vous vieillissons (j’ai 4 ans de plus que toi) et que donc il est plus facile, confortable, pratique, de consulter les actualités de nos comptes favoris en un seul et même endroit ? Est-ce l’évolution des supports (du PC au téléphone, et aux applications) qui incite à se tourner vers un seul réseau social ? Un quotidien plus chargé, plus dense, qui est plus compatible avec un simple « like » qu’un commentaire qui prend nécessairement plus de temps à rédiger ?

    En tout cas je le déplore, même si je fais partie du problème.

    Donc ce message pour dire que même si je fais partie des mutiques, je suis toujours attentivement tes écrits, y compris la newsletter 🙂

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