Ici, il y a de grands silences ponctués de petits bruits. Le tic-tac de l’horloge, le craquement des bûches dans le poêle, un miaulement félin, le vent dans le conduit, les aboiements du chien, la pluie sur le toit, le pépiement des oiseaux. Il n’y a pas de voix que la mienne, que je redécouvre chaque matin en saluant les chats qui se frottent à mes mollets.
Ici, il y a l’immensité de verts dont les teintes changent au gré du soleil et de son cache-cache d’avec de lourds nuages gris. Des arbres dont les feuilles se refusent à jaunir encore, il ne fait pas si froid pourtant, est-ce vraiment l’automne ? Devant la maison, un saule têtard ondule sous les bourrasques, encore touffu, et les rosiers sont toujours en fleur. ll n’y a que l’air piquant du matin, quand le soleil tarde à grimper derrière le bosquet, qui confirme la date sur le calendrier. Octobre est passé par là (et toujours Francis Cabrel).
Ici, j’ai une mission. Nourrir les animaux. Le reste n’est que du temps à user comme bon me semble. Je me dis qu’il y a un secret là bien gardé, celui qu’une mission aussi cruciale et aussi simple suffit à donner du sens à des journées où alors, passer l’aspirateur, faire la vaisselle et étendre une lessive ne sont plus des corvées, parce qu’il reste de longues heures où m’adonner à ce qui me fait le plus vibrer. Je réalise que tout le reste n’est peut-être qu’un écran de fumée : si je peux être contentée de si peu, pourquoi ce désir de plus, qui n’est peut-être pas mieux ? En pantalon d’intérieur et vieux T-shirt distendu, mon gilet pelucheux sur le dos, je ne comprends plus l’intérêt de ces choses que je convoite. Devant les flammes à la fois exigeantes et chaleureuses des feux que je peine à allumer, je ne vois plus pourquoi j’aurais besoin du reste. Les bougies parfumées, les tissus chatoyants, les crèmes de beauté, l’accumulation.
Ici, il n’y avait peut-être pas l’inspiration divine que je pensais trouver, oubliant tous les récits d’auteurs maudits qui ne trouvent pas dans leur campagne pluvieuse, ensoleillée, isolée, les mots qui leur échappent. Ici, il y a cependant une lenteur indéniable, et la solitude qui rend inutile de comparer les vies des autres à celle, unique et particulière, qui est en train de se dérouler sous mes pieds.
Ici, je collectionne les ciels du matin. Ils ont l’odeur du café au lait d’amande qui monte en mousse épaisse. Ils ont le goût de la brioche à la cannelle, enroulée sur elle-même comme un chat endormi. Ils ont la couleur des aquarelles qui n’ont pas eu le temps de sécher.
Quand ils chantent, les ciels du matin, ils me disent que tout n’ira jamais parfaitement bien. Et ce n’est pas une tragédie : ce n’est que la vie.
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