On s’est retrouvé devant la gare et on a traversé la rue, le café était petit, il y avait des muffins aux myrtilles, je me suis sentie étrangement grande. Comme c’était bizarre, de retrouver mon père le temps d’un café. Parce qu’avant il était toujours là, je rentrais le soir le sac lourd de devoirs et l’estomac dans les talons, il m’attendait devant la sortie de l’école et on allait prendre un goûter, le weekend je me levais des heures après lui, il y avait toujours du pain au chocolat, et parfois on regardait Stargate SG1 ensemble devant la petite télé cathodique.
Maintenant il m’attend toujours, à la sortie de la gare quand le weekend je retrouve le chemin de mon ancien foyer, maintenant on se retrouve le temps d’un café. Parce que je suis encore une petite fille, cette fois-ci j’ai pris un mocha, plein de crème fouettée et de chocolat, j’imagine que je n’étais pas encore prête à ce que mon papa me paye un expresso ou un americano, ce que je bois habituellement quand je vais dans un café. Mon papa, il doit me payer des chocolats chauds, des crêpes au sucre, des Magnum double caramel avant la séance de cinéma en plein air, pendant les vacances d’été. Pas des cafés noirs et sérieux. Alors j’ai aussi pris un muffin aux myrtilles, oui, on s’est assis au coin d’une table pleine de miettes, des retrouvailles d’adultes.
On a parlé de lui et c’était presque nouveau aussi.
On s’est dit au revoir sur le quai de cette gare, pour une fois ce n’était pas moi qui repartais mais bien lui, c’était ma gare, ma ville, mes repères, c’était lui qui se glissait dans un wagon un peu pourri, pour retourner chez lui — chez nous — là-bas. Avant qu’il saute dans le train en prenant garde à la distance entre le marchepied et le quai, on discutait de nos projets, de nos histoires, de nos manuscrits à imprimer à s’échanger et à relire. On discutait comme des grands, oh, comme c’était bizarre. Dans ma tête a défilé toutes ces fois où il m’a emmenée à Ikea acheter des meubles pour mes nouveaux chez-moi, les angoisses que j’ai partagées avec lui au clair de lunes impitoyables, les tristesses taciturnes que nous échangeons parfois. On se ressemble tant, lui et moi.
Dans son sourire je vois la fierté qu’il a d’être mon père à moi, je sens ce lien pas ténu du tout, de ce qui nous rassemble et continuera à nous tisser. J’ai le coeur blessé battu rompu de n’être plus la petite fille qu’il portait dans ses bras avec précaution pour me mettre au lit quand je m’endormais devant la télé. Je me réveillais au milieu de la nuit, émerveillée d’avoir transplané, il y a une magie de l’enfance qui me manque terriblement. Et j’ai le cœur gonflé de joie d’être toujours sa petite fille quand même, celle qu’il regarde grandir du coin de l’oeil sans en avoir l’air, sans jamais dépasser mes frontières, qui sont peut-être aussi les siennes. Que c’est donc de pouvoir dire : « Je tiens tant et tout de toi, papa ».
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