Sous les braises

Cโ€™รฉtait absurde. Le silence rรฉgnait, pesant, et mรชme si la Terre continuait de tourner, tout sโ€™รฉtait arrรชtรฉ comme en plein mouvement. Il nโ€™y avait pas eu de sirรจne annonciatrice, pas de grand chambardement. Ni sรฉisme ni tsunami, ni nuรฉe de sauterelles. ร€ peine un รฉcho, il aurait fallu tendre lโ€™oreille. Ce nโ€™รฉtait pas une punition, ni une vengeance, ni un cataclysme. Et non, le monde ne sโ€™รฉtait pas mis sur pause. Ce nโ€™รฉtait pas un film dโ€™horreur, il nโ€™y avait pas une couche de cendre pour tout recouvrir, il nโ€™y avait pas dโ€™esprits malรฉfiques, ni de dangers tapis dans lโ€™ombre. Ce nโ€™รฉtait que nous. Qui nous รฉtions arrรชtรฉs. Comme en plein mouvement.

On entendait presque le grincement des rouages de la mรฉcanique grippรฉe, tandis quโ€™on la forรงait ร  se mettre ร  lโ€™arrรชt.

Il restait les semblants quโ€™on passait sur nos vies comme des crรจmes miracle. Des routines auxquelles sโ€™astreindre pour effacer lโ€™incertitude. Les rรฉveils qui sonnaient toujours, les lรฉgumes quโ€™on sโ€™efforรงait dโ€™รฉplucher, les rendez-vous quโ€™on ne voulait, soudain, plus manquer. Il restait lโ€™attente, lโ€™espoir, et leurs revers, lโ€™impatience, lโ€™impuissance.

Certains โ€“ pas ยซ dโ€™entre nous ยป, ceux-lร  nโ€™ont jamais fait partie des nรดtres โ€“ pensaient au profit. Celui quโ€™ils auraient du mal ร  engranger maintenant que la masse laborieuse รฉtait figรฉe, ou bien secouรฉe de quinte de toux moribondes. Certains, parmi nous cette fois oui, comptaient. Les jours. Les lits. Les respirateurs. Les sous. Les morts. Les morts quโ€™on nโ€™arriverait bientรดt plus ร  enterrer assez vite. Les morts stockรฉs dans des camions rรฉfrigรฉrรฉs, comme la chair sacrifiable, sacrifiรฉe, quโ€™on avait toujours รฉtรฉ. Nos vrais visages dรฉvoilรฉs. Nous rรชvions de rรฉvolution. Sโ€™ils avaient pu, ils nous auraient usรฉs jusquโ€™ร  la moelle โ€“ ils nous auraient laissรฉs pourrir au fond des fosses โ€“ mais ils avaient peur. Dโ€™aprรจs. De nos forces conjuguรฉes.

Nos colรจres grondaient comme des braises. Un souffle de vent suffirait. Nous รฉtions รฉtouffรฉs mais nombreux. Ardents, aussi.

Ce texte a รฉtรฉ รฉcrit pendant le Camp NaNoWriMo. Il contient 5 mots piochรฉs au hasard dans Chez soi, de Mona Chollet, que j’avais sous la main. Il contient encore du confinement, j’en suis dรฉsolรฉe. Je n’ai que รงa en tรชte.


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Commentaires

5 rรฉponses ร  “Sous les braises”

  1. Anej

    Je commente pas souvent mais ce texte-lร … M’a vraiment vraiment vraiment vraiment tellement plu… Bravo!

  2. Kellya

    J’ai envie de dire รฉvidemment, il contient du confinement, puisque nous n’avons tous que ca en tete. Mais surtout il contient dรฉjร  un peu d’aprรฉs, et une grande force sous-jacente qui rรฉveille et fait bouger. Merci pour cette force que ce texte met en mouvement en moi.

  3. Delphine

    Trรจs trรจs beau texte. Merci.

  4. Merci pour ce texte, qui capture quelque chose de la rage qui nous habite.

  5. Ne sois pas dรฉsolรฉe d’รฉcrire sur le confinement, si tu n’as que รงa en tรชte peut-รชtre qu’รฉcrire te dรฉlivrera un peu…
    Et puis tes mots sont toujours aussi beaux, mรชme un peu en colรจre ๐Ÿ™‚

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