Ils sont partis. Glissés dans des enveloppes en kraft, mes préférées, mon écriture un peu tremblante dessus, des vignettes bleu pâles dans le coin supérieur droit. Ils sont trois, ils sont partis. Je n’ai jamais trop aimé assimiler ma création à la maternité. Mes manuscrits ne sont pas des bébés, mes personnages ne sont pas mes enfants. Ils sont le fruits d’un travail intense, solitaire, semé de doutes et de passion. Mais il est indéniable que ces manuscrits reliés de noir représentent à eux trois l’œuvre de ma vie.
Le truc, c’est que ma vie est encore jeune, et qu’il y aura d’autres œuvres. Ça rend humble et pleine d’espoir : il y aura des non, des critiques, des refus, des rejets. Mais je n’ai pas vingt-cinq ans encore, alors il m’est permis (et il est toujours permis) de croire qu’il y aura des oui.
Maintenant il est question de croiser les doigts, et de cultiver un sens de l’attente sans attentes. Se préparer aux non en espérant des oui. Reconnaître que j’ai envoyé trois bouteilles à la mer, mais au fond, croire à l’incroyable, à l’impossible. Pour fêter ça, il a acheté deux parts de gâteau à la fraise. Pour fêter ça, il fait beau. Pour fêter ça, fidèle à moi-même, je remplis les cases correspondantes dans mon tableau Excel, je ne suis jamais mieux rassérénée que devant un tableur automatisé.
« Ça te fait un peu bizarre ? », il m’a demandé. J’ai manqué de mots, à croire qu’ils sont désormais tous entre les 182 pages imprimées en Georgia, interligne 1,5, larges marges. Ça me fait un peu bizarre. Je pense à une histoire dormante que j’ai envie de raconter, à laquelle je n’arrive pas trop à me mettre. Aux nouvelles que j’ai envie d’écrire mais qui ne veulent pas se laisser dire. Et bizarrement, ces trois manuscrits qui sont partis me libèrent du poids d’une histoire à la dernière page déjà tournée. Peut-être, alors, est-ce bientôt l’heure de m’atteler à d’autres mots.
À bientôt pour d’autres nouvelles de mes bouteilles à la mer.
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