28.

Miettes

Ils partagent les écouteurs, la tête penchée l’un vers l’autre, et ils se balancent au rythme de la même musique. Ils partagent un Balisto, ils se font des grimaces dans la glace. Ils s’aiment.

Il y a des miettes dans son écharpe, et des mèches un peu rousses qui tombent devant ses yeux, elle a les joues rosies d’avoir couru jusqu’à la station de métro, d’avoir dévalé les escalators, de s’être engouffrée, main dans la main, dans la rame. Ils se sont regardés de ce regard complice des gens qui s’aiment.

Il remonte ses lunettes sur son nez, d’un coup de coude discret il pointe du doigt l’homme assis en face, il murmure à l’oreille qu’il le connaît, qu’il bosse là-bas, elle ouvre grand les yeux et elle rit sous cape. Il est heureux de l’avoir fait rire, il prend sa main, en caresse le dessus de sa paume d’un pouce à l’ongle rongé. Il arrêtera bientôt de manger ses ongles, parce qu’ils s’aiment.

Ils reprennent leur balancement, et puis la fatigue les submerge, d’un coup leurs têtes se rejoignent et ils ferment les yeux, contents. Ils sont satisfaits d’être seuls au monde dans cet îlot de plastique bleu malade au sol collant, un jus de pomme d’enfant éclaté sur le lino tacheté. Les odeurs, les corps, les lumières blafardes, rien de tout cela ne les dérange, puisqu’ils s’aiment.

Alors ils s’endorment peut-être, ou pas vraiment, ils oublient l’univers en tout cas, la vie autour, qui mord parfois, qu’ils sont bien, tous les deux. L’un contre l’autre, mains emmêlées, au son d’une seule mélopée. Le métro passe au-dessus du niveau de la terre, tout devient aérien. La nuit laisse apercevoir au fil des rails les lumières qui s’allument dans les foyers. Rien d’autre n’a d’importance.


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