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9h17
J‘ai retrouvรฉ le chemin familier que je n’avais pas eu le temps d’oublier. C’รฉtait un peu surrรฉaliste, de repenser ร l’annรฉe รฉcoulรฉe, ร la fille que j’รฉtais quand j’ai foulรฉ ces pavรฉs pour la premiรจre fois, il y a un an et un jour. Et comme tout a changรฉ.
Une boulangerie a ouvert, quelque part en hiver, entre aujourd’hui et hier. Chaque matin elle รฉclairait le trottoir d’une chaude lumiรจre dorรฉe, l’air sentait bon le croissant chaud et le pain ร peine sorti du four, il y avait la formule petit-dรฉjeuner ; une viennoiserie, un cafรฉ noir et sucrรฉ, que je transportais d’une main tremblante jusqu’ร l’รฉcole, derriรจre les grilles. La boulangerie est devenue le repรจre, le havre de paix aprรจs des nuits trop courtes, le refuge aprรจs de trop longues journรฉes. Je ne compte plus les brownies engloutis, noix de pรฉcan qui collent aux dents, aprรจs huit heures de cours pour adoucir le retour ร dos de mรฉtro. Aujourd’hui, le panneau de la boulangerie annonรงait que le pain spรฉcial que je n’ai jamais eu le temps de goรปter est devenu une recette permanente โ j’ai souri. Cette vie a continuรฉ, mรชme aprรจs qu’on l’a dรฉsertรฉe, il paraรฎt.
Je suis arrivรฉe devant les grilles toujours ouvertes, j’ai revu alors les bancs, l’espace, les portes vitrรฉes, les grandes fenรชtres, les escaliers, les trois รฉtages, l’ancienne usine, j’avais presque oubliรฉ que c’est presque joli, qu’on est presque content d’รฉtudier ici.
Ils รฉtaient trois, la vapeur s’รฉlevait de leurs trois gobelets et la fumรฉe de leurs trois cigarettes, ils m’ont surprise, ces trois inconnus โ sur notre banc. Le banc des copines, le radeau de notre Mรฉduse.
Celui sur lequel je m’asseyais chaque matin bien trop tรดt pour savourer les minutes de silence avant que dรฉbarquent les hordes de mes semblables pas si ressemblants. Parfois j’y trouvais avant moi mon amie T., aux cheveux d’abord trรจs longs puis trรจs courts, toujours une tasse fumante dans une main et une roulรฉe dans l’autre, une รฉnorme รฉcharpe verte autour de ses รฉpaules, dans laquelle elle disparaissait. Parfois je l’attendais, assise en tailleur, perdue dans les restes de nuit accrochรฉs ร mes cils comme des toiles d’araignรฉe. L’un comme l’autre, l’un dans l’autre, en la voyant toujours mon visage s’illuminait. La journรฉe commenรงait.
Elles arrivaient aprรจs, l’une aprรจs l’autre. D’abord E. et son cappuccino, E. et ses chevilles toujours nues dans ses petites baskets blanches qui me faisaient grelotter, E. et ses good morning ร l’odeur de crumpets et de Earl Grey. Puis L. et son casque vissรฉ sur ses oreilles, les cheveux vaporeux en aura autour de son visage encore endormi, le bout de son nez gelรฉ quand elle embrassait ma joue. Enfin A. et son air enjouรฉ, A. et ses mots inventรฉs au dรฉbottรฉ qui me faisaient rire et que j’adoptais, A. et ses robes fleuries qui lui donnaient une allure folle. Quand venait 8h30 nous รฉtions toutes lร , physiquement du moins. L’esprit suivrait. L’intention comptait.
Aujourd’hui sur notre banc du matin, ils รฉtaient trois et ils รฉtaient frais. Il รฉtait 9h17, forcรฉment, et dรฉjร rien n’รฉtait plus comment avant. J’รฉtais toute seule mais pas vraiment.
Je n’รฉtais pas sรปre que j’รฉtais prรชte ร revenir, est-ce que j’en suis sรปre maintenant ? Aprรจs une annรฉe aussi intense, aussi brillante, aussi exigeante, ร quoi pourront bien ressembler les mois ร venir et aussi l’avenir ? Il y a un an et un jour je marchais avec une dรฉtermination incroyable, j’avais en tรชte cet objectif prรฉcis qui consistait en ne pas rater ma vie, lui redonner une direction, le chemin รฉtait tout tracรฉ et le dรฉfi รฉtait de taille. A la fois immense et tangible, merveilleux et possible, c’รฉtait le dรฉfi d’une vie, c’รฉtait lร que j’avais envie de mettre toute mon รฉnergie. Et ร la hauteur de mes espรฉrances, l’annรฉe a รฉtรฉ d’une intensitรฉ marquante โ je n’en regrette rien, ni les longs mois de froid ร ne pas voir la lumiรจre du jour, ni les nuits d’angoisse ร ne plus savoir oรน donner de la tรชte, et surtout pas les jours de fรชte, oรน cรฉlรฉbrer nos succรจs รฉtait le seul programme. Aprรจs avoir rรฉussi avec tant de force, aprรจs avoir combattu tant de dragons, quelle autre quรชte pourrait bien revรชtir un quart du lustre de la prรฉcรฉdente, quelle autre aventure pourrait mobiliser le cลur et la tรชte, fatiguer le corps et envahir de rรชves ? Peut-รชtre qu’ร l’enthousiasme dรฉbordant doit succรฉder une pรฉriode de deuil รฉtrange, le deuil de douze mois effrรฉnรฉs qui m’ont laissรฉe sur le carreau mais fiรจre de moi et reconnaissante envers la vie, envers les gens plutรดt magiques qui la peuplent, la drรดle de vie. Peut-รชtre qu’รฉvidemment tout est un peu fade mais que c’est de รงa dont j’ai besoin : de tons pastels de dรฉlavรฉs, d’accords mineurs et de sourdines, aprรจs le merveilleux capharnaรผm, l’incroyable chaos, le Big Bang qui a tout bouleversรฉ.
Je me suis assise devant un ordinateur, le mรชme qui sรปrement a dรฉjร supportรฉ des heures durant ma frappe effrรฉnรฉe sur son clavier trop bruyant. J’ai retrouvรฉ mon mot de passe et le souvenir d’un joueur d’harmonica qui beatboxait ร quelques mรจtres de moi, ร l’issue d’une de ces journรฉes sans fin qui nous avait soudรฉs. J’ai sorti ma trousse. Autour de moi, les visages flous des inconnus.
Il faut tout recommencer. Challenge acceptรฉ.
Commentaires
9 rรฉponses ร “9h17”
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Il est 8h05, je claque la porte de chez moi sans vraiment en avoir quelque chose ร foutre de rรฉveiller mes voisins, parceque je suis en retard. P. va encore m’attendre, ร moins qu’on se retrouve dans le mรฉtro, quand le hasard fait bien les choses. Mon petit dรฉfi, c’est d’arriver avant elle, pour avoir l’honneur d’รชtre l’hรดte, et รชtre celle qui rรฉveille avec un sourire, un bisou, et un soulagement. Quand c’est pas le cas, c’est elle qui m’accueille avec son manteau beige et son รฉcharpe tissรฉe dans laquelle elle a aussi pris l’habitude de disparaรฎtre. Et j’adore รงa. C’est la premiรจre tรชte que je vois le matin, pas souvent loquace, mais toujours pleine de douceur.
Quand c’est moi qui arrive en premiรจre, j’attends fidรจlement en tailleur, sur le banc, et je scrute la grille. Elle arrive, avec ses jambes de 3m de long, elle se pose ร cรดtรฉ de moi, et comme une girafe elle se tord pour que sa tรชte bien haute rejoigne mon รฉpaule bien basse. Bah qui quand on fait 1m20 les bras levรฉs…
Quand c’est elle, je trottine au rythme de la musique jusqu’ร la grille, je la vois, je me pose ร cรดtรฉ d’elle, et poser ma tรชte sur son รฉpaule requiert moins d’effort. Et je me love quelques minutes en silence, avant de me relever pour aller chercher du cafรฉ.C’est la premiรจre fois de ma vie que je ne veux pas que la routine matinale s’arrรชte.
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[…] cette semaine, j’ai retrouvรฉ mes marques รฉtudiantes, et je me suis dรฉcouvert une autonomie insoupรงonnรฉe, une espรจce d’indรฉpendance qui […]
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Ah les jolis mots, qui me transportent ร ces annรฉes de fac qui me semblent si loin, auxquelles je pense assez peu, mais avec tendresse. Je me sentirais presque un peu vieille, mais aprรจs tout, chaque chose en son temps. (Mais c’est effrayant de voir ร quel point ce dernier passe vite, insidieusement. Profitons, toujours, pour ne rien regretter et regarder en arriรจre avec tendresse.)
Bonne rentrรฉe <3
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Rรฉsonance trรจs particuliรจre des matin d’automne et d’hiver; les premiers mois ร l’universitรฉ : je me retrouve totalement dans quelques dรฉtails, quelques mots et images -la boulangerie en bas, sauf que moi c’รฉtait ร dix heures, entre deux cours, pas avant le premier-, les copines, toujours au mรชme endroit, et la chaleur des souffles des discussions et des rires dans l’air encore un peu trop froid des matinรฉes de cette pรฉriode de l’annรฉe.
Merci, grรขce ร toi j’ai (presque) hรขte <3
Je te souhaite une bonne rentrรฉe, et un bon courage pour cette annรฉe ๐ -
Oui, bravo ! Trรจs joli texte oรน les รฉmotions sont si bien racontรฉes. J’avais l’impression d’y รชtre. Puisse cette annรฉe รชtre ร la hauteur de la prรฉcรฉdente !
Emma
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J’ai juste envie de glisser un petit coeur, sans rien de plus, pour te dire que j’ai lu, et que c’รฉtait beau, mais sans venir tout gรขcher avec d’autres mots.
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<3
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C’est si joliment รฉcrit, tu as vraiment une trรจs jolie plume <3
Je te souhaite un beau recommencement alors.-
Merci Cรฉline โฅ
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