Je me tiens droite et fière pour touiller mon curry d’aubergine. La vie me fait ça des fois, ce cadeau. Après mes salutations au soleil, j’ai les muscles du dos qui me saluent eux aussi. Ils me racontent qu’ils sont là, le long de ma colonne vertébrale, en haut là sous les épaules, et puis même sur les côtés, autour de la cage thoracique. Ils sont là, ils me soutiennent. Je me tiens droite c’est grâce à eux.
J’ai grandi courbée. Toujours grande fille, toujours trop grande – deux ans d’avance sur mes camarades de classe, une tête de plus que tous les garçons. On fait quoi de ce corps trop grand ? C’est devenu de plus en plus dur de disparaître : les épaules carrées, les seins qui émergent comme des protubérances grotesques en haut d’un torse presque concave à force de ne pas manger, les jambes infinies. Trop grande. Alors je me suis courbée. J’ai baissé la tête et je me suis tassée.
J’ai entendu ma mère me dire « tiens-toi droite ! » plus de fois que je ne peux m’en souvenir. J’apprenais à rentrer le ventre (rentrer quoi, il n’y avait pas de ventre) mais je n’arrivais jamais à me tenir droite. Ça faisait mal, au dos, d’exister.
Quelque part entre l’adolescence et l’âge adulte, la balance s’est mise à pencher de l’autre côté. Je pesais plus lourd, ça devenait douloureux peu à peu de rétrécir comme ça cette personne à l’intérieur de moi qui ne demandait qu’à fleurir. Tout était inconfortable alors, recroquevillée mes poumons rétrécissaient, droite dans mes bottes ce dos mou me faisait comprendre que je l’avais trop longtemps négligé.
Maintenant, je peux. Me tenir droite et fière.
Même quand je me sens petite, même quand je me sens triste ou honteuse. J’ai ces quelques muscles sous ma peau, fermement accrochés, ils sont timides et invisibles, mais je les sens. Quand je les fais marcher je les sens.
C’est peut-être ça, la réconciliation.
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