quelques anecdotes
sur la violence
des hommes
samedi
elle arrive elle sursaute elle murmure
elle dit
vous les détestez tous ?
je dis ah oui
je porte ce sourire que j’ai tricoté
celui qui dit oh ça va on peut plus rigoler
c’est en les observant
nous cracher dessus nous siffler nous injurier
que j’ai copié l’inflexion si particulière
de lèvres moqueuses qui feignent l’innocence
la dame dit vraiment tous ?
je dis oh-
elle dit moi mon fils vous savez
son fils bien sous tout rapport
je comprends après tout c’est elle qui l’a élevé
son fils aujourd’hui qui tremble tout bas
il n’ose plus parler à ses collègues autour de la machine à café
il entend des choses qui le font pleurer
il en a marre me dit sa mère d’être mis dans le même panier
c’est dur pour lui
je dis madame il faut bien comprendre
vous ne pouvez pas nier
qui sont ceux qui violent qui frappent qui tuent
elle dit qu’il faudrait trouver
une autre manière de les appeler
elle dit pas tous !
je dis quand même beaucoup, non ?
elle dit mais enfin il y en a des bien
après tout dans l’enfer Mazan*
c’est quand même un homme
qui a tiré la sonnette d’alarme
je dis ah très bien c’est un homme
bravo à lui mais pour combien
en face qui savaient
qui n’ont rien dit qui n’ont rien fait
elle continue elle hausse le ton
elle dit mais enfin voyons les femmes aussi
font du mal autour d’elles d’ailleurs savez-vous
quel pourcentage de femmes commettent l’inceste**
je dis je ne sais pas
devinez dit-elle
je dis ça ne m’intéresse pas
de faire des devinettes sur ça
20% dit-elle, vingt pour cent !
alors je dis, les quatre-vingt pour cent restants
d’après vous ce sont qui ?
elle s’emporte elle énumère
ce sont les frères les oncles les pères
doucement je dis
et que sont-ils sinon des hommes ?
elle dit il faudrait vraiment
les appeler autrement
je dis très bien alors comment ?
ce ne sont pourtant que des hommes
plus tard une jeune femme me dira
j’ai essayé de vous envoyer un message sur instagram mais c’est impossible
le regard plein d’excuses je répondrai
j’ai reçu beaucoup de violence sur instagram
alors j’ai tout verrouillé c’est mieux comme ça
désolée c’est vrai que c’est embêtant
envoyez-moi un mail la prochaine fois
dimanche
je lis que sur le banc des accusés
ils sont plusieurs à dire
qu’ils n’ont pas fait exprès
ils ne savaient pas
naïfs qu’ils étaient
qu’elle n’était pas d’accord
qu’elle allait bien finir
un jour par se plaindre
par se réveiller
ils disent
je croyais qu’elle savait
sur la vidéo on voit
qu’ils font tout pour se faire discrets
ils refusent le mot
ils n’ont pas violé
comment auraient-ils pu violer
sans le vouloir, sans le savoir
s’ils avaient violé ils le diraient
croyez-les sur parole
après tout ils ont juré de dire la vérité
sur la vidéo
on entend parfois Gisèle ronfler
sous certains articles on lit
alors les féministes
vous voyez bien !
pas tous les hommes
seulement cinquante-deux***
j’entends presque d’ici
le rire gras et satisfait
des hommes qui tapent ces mots
cliquent sur envoyer
se frottent les mains ravis
du bon mot bien senti
lundi
sous une photo qui n’a rien à voir
il a écrit que j’ai de la chance de pouvoir écrire
je déteste les hommes
il dit qu’un homme qui dirait je déteste les femmes risquerait la prison
(je souris puisqu’un homme qui viole des femmes ne risque pas grand-chose, certainement pas la prison)
il dit que personne ne défendrait un homme qui dirait ça
(je souris puisqu’un homme qui viole des femmes ne risque pas grand-chose, surtout pas de perdre ses amis, qui coûte que coûte le soutiendront)
il dit
la femme qui déteste les hommes est morte à l’intérieur
je ne souris plus parce que si c’est vrai
si la femme qui déteste les hommes est vraiment morte à l’intérieur
qui donc l’aura tuée ?
il est hispanophone il a sûrement
passé son texte dans un traducteur
il a rajouté des emojis 💩🤢
c’est rigolo c’est enchanteur
il dit que je suis un humain de merde
je fonds en larmes
je suis si fatiguée
ça fait quatre ans et jamais plus d’un mois
ne passe sans qu’un homme prenne le temps
de me faire savoir qu’il me hait
parce que je le hais
(parce qu’il me hait)
c’est long quatre ans
je m’endurcis
la plupart du temps j’en ris
mais pour pour pouvoir respirer
rire, être joyeuse, chanter
(écrire)
il faut savoir rester vulnérable
pour vivre il faut parvenir à
se laisser être touchée
alors je ne serai jamais assez endurcie
jamais assez calcifiée
jamais une petite roche toute dure contre laquelle tout peut rouler
il y a des hommes qui essayent de nous faire croire qu’ils n’ont pas fait exprès de violer une femme endormie
mais c’est moi l’humain de merde
et c’est pour eux que c’est difficile
il y a des jours gris où c’est un peu compliqué
ça fait quatre ans
rien n’a changé
Notes :
* je voulais écrire « affaire Mazan », j’ai écrit « enfer Mazan », j’ai laissé.
** les % sur l’inceste sont ceux de la dame, pas les miens ni les vrais.
*** le nombre 52 est celui vu dans un tweet, pas le réel nombre d’hommes mis en cause dans l’affaire.
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