208.

Je suis partie avec ma maison sur mon dos. Cโ€™รฉtait lourd de promesses, dโ€™histoire ร  dรฉvorer, de fruits ร  partager, de souvenirs ร  rapporter โ€” ou ร  laisser lร , ร  laisser germer. La chaleur รฉpousait tous les corps comme un voile sur une statue finement ciselรฉe. Jโ€™รฉtais seule, pour la premiรจre fois depuis longtemps, et comme ร  chaque fois, lโ€™aventure. Autour de moi, il nโ€™y avait que des hommes, tellement sรปrs dโ€™eux et de leur droit dโ€™รชtre lร , dโ€™รชtre seuls, que sur le quai dโ€™une gare entre deux trains, ils avaient lโ€™audace de sโ€™assoir, dโ€™allumer une cigarette, puis deux, sans jamais regarder le monde alentours. Moi jโ€™avais la conscience aiguรซ dโ€™รชtre une femme. Une femme qui a chaud, qui transpire, une femme lourde de sacs et de promesses, dans un coin de ma tรชte aussi la conscience aiguรซ quโ€™il serait aisรฉ de me faire mal. Moi je regardais alentours. Le monde et les hommes qui le peuplent sans mรชme imaginer toute cette place quโ€™ils prennent, ce droit quโ€™ils sโ€™arrogent de vivre ร  la belle รฉtoile. Dans le sous-sol qui sรฉpare et relie les deux quais un autre homme attendait. Sans le vouloir jโ€™ai pressรฉ le pas, jโ€™ai jetรฉ derriรจre moi des coups dโ€™ล“il apeurรฉs. ร‰videmment, il ne me suivait pas. Quoiquโ€™il attende, ce nโ€™รฉtait pas moi. En รฉmergeant ร  la surface jโ€™ai vu un soleil flamboyant, une orbe aveuglante qui semblait tout vouloir absorber. Le seul bruit รฉtait celui du vent qui siffle sans rompre la torpeur dโ€™une chaleur immobile.


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